Une rencontre autour d'un spectacle qui traite de la transphobie et de la difficulté d'être soi dans un monde binaire. L'actualilté et la montée du néofascisme donnent une couleur bien sombre à ce podcast. Il faudra pour retrouver la joie de vivre que vous vous déclariez allié·e·s
Heures, jours et mois sombres ! Alors que depuis quelques années nombre de parutions et de militant·es alertent sur le renforcement de la fachosphère dans une internationale funeste, soutenue par des milliardaires qui transforment des organes de presse en outils de propagande, cette fois la stigmatisation que subissent des communautés cibles est tellement forte que la sidération et la tétanie autant que la rage s'emparent d'elles.
La tonitruance des agresseur·euse·s, l'outrance des gestes et des opinions sont pour les victimes autant de sirènes hurlant dans la nuit qui alertent de la reformation des colonnes de factions identitaires. Des individus virilisés par leurs dogmes et leur rage qui vocifèrent "La rue est nous", Proud Boys aux États-Unis, mais aussi sur notre vieux continent par des défilés de croix celtiques portées par des encagoulés au slogan de "Europe Jeunesse Révolution". Le neofascisme s'est organisé de longue date et est arrivé au pouvoir dans de nombreux pays. Quand ce n'est pas le cas la fenêtre d'Overton est grande ouverte et bon nombre d'hommes et femmes politiques se mettent au pas devant les idées propagées par l'extrême droite.
la page d'accueil du site du STONEWALL National Museum
Iels pensent notre élimination
En toute impunité et dans un concert de connivences, partout augmentent les agressions racistes, homophobes et transphobes, se renforcent les féminicides, la misogynie et la transmisogynie et les attaques contre l'État de Droit. Alors que l'internationale néofasciste désigne ses cibles, les territoires de la démocratie et de nos libertés sont investis par une multitudes de petit·es soldat·es qui se déchaînent sur les réseaux ou se rassemblent en hordes, galvanisé·es par les penseur·euse·s de notre élimination, des politicien·nes dont le projet idéologique est le renversement de la démocratie. Ils programment l'extermination de nos existences Queer. Comme ils exterminent les Gazaouis, stigmatisent la migration humaine, ils nous désignent comme un "virus à éradiquer" (Elon Musq) en réduisant nos vies à une idéologie élaborée par leur fanatisme binaire, la théorie du genre. Ils cherchent à effacer notre histoire et les symboles de nos luttes pour supprimer nos droits et acquis (suppression du T et du Q du Stonewall National Monument de New York). Toute notre communauté en souffre, et quand je vois des figures comme Lexie, Lou Trotignon ou Nicolas de Superséro épuisé·e·x·s de la sorte, je suis inquiète du pouvoir de nuisance de tous les haters qui nous attaquent. Si cela continue, nous pourrions même disparaitre des livres d'Histoire. Backlash ultime, Iels appliquent avec cynisme une cancel culture de l'éradication en réponse à la cancel culture du questionnement des dogmes culturels et identitaires de leur suprématie. Ces réactionnaires nauséeux en appellent de nouveau à la biologie pour faire de nous des monstres. Nous voici de nouveau face à la pathologisation de nos existences.
Voilà en quelques lignes le contexte dans lequel je produis ce podcast après 6 mois sans aucune parution. La bête immonde de la dépression qui alourdit chacun de mes membres et brouille les fréquences de mes synapses. J'ai l'impression de mourir un peu plus chaque jour tandis qu'il n'y a jamais de fin. Tous les matins mon réveil sonne à 6h00 précises et précisément quelques soient mes rêves ou cauchemars ou l'heure à laquelle je me suis couchée, le jour se lève de nouveau et je reprends le cours de la vie. Je monte sur le tapis roulant de ma destinée du jour et en fin de journée, en bout de course, la dynamique du tapis me jette sur mon lit.
Voilà un an que j'ai transitioné. Je suis tellement heureuse enfin. Je me sens tellement plus courageuse et solide. Il le faut puisque l'abandon familial joint au contexte sociétal et mondial font que l'époque qui rend ce bonheur possible est aussi celle qui le fait vaciller. Cette violence de laquelle j'étais épargnée me menace davantage chaque jour. Bien que renforcée, les agressions quotidiennes et prégnantes depuis la campagne de D. Trump en octobre dernier, rognent la confiance en moi, au point parfois d'envisager le grand voyage. La solitude dans laquelle nous plonge les réactionnaires, nous tient en otage et nous meurtrit.
Faire famille
Dans ce podcast, comme pour prolonger la journée mondiale de la visibilité trans (31 mars), je vous livre l'entretien avec Caroline GUYOT, la metteuse en scène de la pièce L'Enfant mascara d'après l'Oeuvre de Simon Boulerice. Après avoir vu le spectacle dans lequel jouait Camille (SoulOfBear)...
tellement émue par l'histoire et la part de ma vie que j'y retrouvais, j'échangeais ensuite avec Caroline GUYOT au foyer du théâtre. Elle me dît vouloir "faire famille". Une vague d'espérance me saisît alors, il fallait la faire parler, comprendre les rouages du faire famille. Comment fait-on pour trouver une famille où, quelque soit notre age, plus jamais nous ne serons perdu·e·s dans le monde. Nous nous sommes installées quelques jours après sur le plateau. Nous avons échangé entre intime et rebellion contre le cistème patriarcal. Caroline GUYOT nous explique ses indignations et comment elle s'organise pour protéger ses adelphes. Elle raconte des histoires qui nous rendent hommage, sollicitent les allié·e·s et repoussent les vociférants. L'Enfant mascara, raconte l'histoire de Léticia qui aura été assassinée par son camarade d'école lorsqu'elle lui aura avoué son amour.
Léticia
Lorsqu'elle sera enfin libérée de ses craintes à vivre sa vie, l'auteur lui donne la parole en ses termes
Je suis Léticia queen et je suis prete
à vivre sans doute. Dans une frénésie de paillettes et de papillons. Puis très vite il faudra bien se rendre compte que nos vies ont une place difficile à trouver ou à prendre. Ces mots lui sont alors donnés :
Quelque chose ne passe pas
Et enfin, un cri désespéré de ne pouvoir exister
Maman! Prends moi dans tes bras!
Où sont les mères, où est la mienne partie voilà deux ans, quelques mois avant ma renaissance. Où sont les mères reprendrais-je ensuite comme ne faisant plus confiance aux pères ou aux hommes.
Si l'histoire de Léticia se déroule en 2008, la transphobie à l'origine de son meurtre est systémiquement un [trans]féminicide dont le risque est permanent et nous terrorise sans relâche tant au quotidien nous subissons des menaces. Il faut bien le constater, depuis, rien n'est résolu, tout empire. Alors que nous avions l'espoir d'enfin pouvoir vivre, la transphobie aujourd'hui est légalisée par des États populistes et fascistes.
Voici donc l'entretien que j'ai eu avec Caroline GUYOT. C'était en février dernier, juste avant le départ de sa Compagnie, Barbaque Compagnie, pour jouer le spectacle au Canada.
La transcription de l'entretien :
Martha
On va discuter ensemble parce que je ne peux pas faire semblant, comme si je ne vivais pas de choses intimes avec ce spectacle.
Caroline Guyot
Oui, je comprends.
Martha
C'est important que les gens sachent aussi à qui je suis en train de parler au moment où je suis en train de parler avec ce début un peu étrange.
Caroline Guyot
Ça peut être pas mal.
Martha
Tu es Caroline Guyot. Tu es la metteure en scène.
Caroline Guyot
Metteuse. Moi, j'aime bien dire metteuse en scène.
Martha
Metteuse en scène du spectacle auquel je viens d'assister pour la deuxième fois, L'Enfant Mascara. C'est un spectacle qui est tellement, tellement difficile, en fait, que je me dis qu'il faudrait qu'il ne soit surtout pas anecdotique, qu'il ne présente pas seulement, finalement, une souffrance mystifiée du point de vue de la norme, mais qu'on puisse dire: Si vous venez voir ce spectacle, écoutez au moins une fois le cri intérieur de telle sorte que plus jamais vous ne soyez transphobes ou homophobes ou lesbophobes.
Caroline Guyot
Oui, tout à fait.
Martha
Je voudrais donc que l'entretien qu'on a à cet instant, si tu le veux bien, il soit basé sur l'intime et à la fois le politique. Parce que bien sûr, ce spectacle, l'Enfant Mascara, c'est au départ, finalement, un fait divers, une histoire.
Caroline Guyot
Oui, c'est ça. C'est un fait divers qui a eu lieu à Oxnard, en Californie, en 2008. Letitia a été assassinée à bout portant par Brandon Brandon McInerney, le garçon dont elle était amoureuse. Elle est morte deux jours plus tard, le 14 février.
Martha
C'est important qu'on fasse une petite parenthèse sur ça. C'est que nous sommes, au moment où on enregistre, le 13 février. Il y a donc 17 ans, on est au moment où elle est encore en coma artificiel. Demain, elle mourra en 2008.
Caroline Guyot
C'est ça.
Martha
C'était hier qu'elle a été agressée en 2008. J'aimerais vraiment qu'on se parle aussi de cette temporalité. En 2008, c'est possible. C'est un camarade, finalement, de classe ou de collège qui l'abat.
Caroline Guyot
Oui, c'est ça.
Martha
Aujourd'hui, il y a une portée toute particulière à cela. Oh que oui. On se dit en 17 ans, qu'est-ce qui ne s'est pas passé ou qu'est-ce qui s'est passé pour que finalement, ce drame que l'on voit là, qui nous émeut au plus profond, et on parlera de l'intime dans un instant, mais qu'est-ce qui fait que c'est encore possible ?
Caroline Guyot
Qu'est-ce qui fait que c'est encore possible ? J'aimerais tellement ne pas avoir à imaginer cette question. Je crois que je n'arrive pas à l'imaginer. Je crois que c'est pour ça que j'ai eu envie de raconter cette histoire. Je crois que c'est pour ça que j'ai envie qu'on l'entende encore et encore, parce que je n'arrive pas à comprendre. Je ne peux pas le comprendre. Donc, je ne sais pas. Je ne sais pas, je vois, je crois que je suis comme toi, je suis comme tout le monde. Je regarde ma télévision, j'écoute la radio, je me dis: OK, il y a des gens qui disent ça, il y a des gens qui pensent ça, il y a des gens qui ont voté pour cette personne-là.
Martha
La personne dont on parle, c'est Trump ?
Caroline Guyot
Oui, c'est ça. Moi, je n'arrive pas à le comprendre. Donc oui, je pense que ce chemin-là, il est aussi à cet endroit pour moi de me dire: C'est quoi ce chemin-là ? Pourquoi est-ce qu'on peut arriver à haïr une personne, à vouloir lui faire du mal parce qu'elle est amoureuse de nous ? Parce que c'est ça cette histoire. C'est deux adolescents, une adolescente qui est amoureuse d'un garçon, de ce Brandon, et qui le dit haut et fort, et qui ne se cache pas, qui ne cache pas son amour, qui ne cache pas qui elle est, et qui est heureuse et fière de ça. Et donc, à partir de quand on ne peut plus être fier d'aimer et à quel point l'amour peut provoquer de la haine, du dégoût ? C'est vraiment cette chose-là qui, moi, me laisse sans voix ou en tout cas, qui fait que je me dis: OK, donc moi, en 2025, j'ai vraiment envie que des adultes, mais aussi que beaucoup d'adolescents qui ont l'âge de Brandon et de Leticia entendent cette histoire pour savoir est-ce que ça va résonner, comment ça résonne. Et bien sûr, c'est aux États-Unis, mais en France, on est exactement au même endroit. Alors, je dirais que la législation du port d'armes nous protège à certains endroits, mais pas de la violence.
Martha
Ou pas. Puisqu'une arme aujourd'hui, finalement, et malheureusement ça se trouve. Et du coup, en fait, ce qu'on remarque, puisqu'aujourd'hui, tu avais un public d'adolescents qui ont exactement l'âge de Leticia et de Brandon, on a vu à un moment donné des personnes sortir parce que finalement, quelque chose était encore insupportable. Ce qui veut dire que finalement, un, évidemment, le spectacle est pédagogique, mais pas seulement aussi. C'est-à-dire qu'il est à rebrousse poils et qu'il fait fuir au moment où il va falloir faire le débat. Donc quel travail n'a pas été fait ? Puisqu'après tout, c'est le moment où on pouvait se rejoindre aujourd'hui.
Caroline Guyot
Quel travail n'a pas été fait ? Qu'est-ce qui remonte ? Qu'est-ce qu'on entend ? Quel discours masculiniste remonte en force en flèche aujourd'hui? Qu'est-ce qui fait peur ? Moi, je me dis: Mais qu'est-ce qui fait peur ? Comment l'amour peut faire peur ? Comment la féminité peut faire peur ? Parce que je crois que c'est ça, profondément. C'est la féminité vécue, exacerbée, assumée de Leticia qui fait peur. Et à quel endroit alors ça peut créer une panique, une perte de contrôle, une perte de domination chez certaines personnes, chez certains hommes et même chez certains garçons, puisqu'ils sont à un âge où leur construction sociale commence évidemment à prendre de la place. Donc, ça fait peur.
Martha
C'est intéressant que tu parles de ça parce que c'est aussi ce qui fait qu'on est en train de s'entretenir ensemble. La première fois où je t'ai vue, je t'ai rencontrée grâce à Camilles qui joue dans le spectacle, qui, pour nous, est une adelphe vraiment d'amour à Nonbi Radio, tu as dit à un moment donné, au Foyer là-haut, tu as dit : Moi, je fais famille. En fait, c'est important pour moi. Quand j'ai entendu ça, je me suis dit: Ouah ! C'est exactement ce qui me manque, cette famille que je vois là. C'est pour ça que je voulais te dire que c'est important qu'on soit ... J'en bafouille un peu, en fait. Je suis émue parce que je ne sais pas exister si je ne vois pas ce que je vois là. J'aimerais poser cette question. Tu as dit: Je fais famille. C'est quoi cette famille que tu fais dans laquelle je commence à me sentir pouvoir appartenir ?
Caroline Guyot
Ça commence par l'amour des artistes avec qui j'ai envie de travailler. Ce projet, je le porte depuis longtemps. Je mets du temps à faire des spectacles et je ne choisis pas des interprètes pour leur qualité artistique. Je choisis des personnes. Enfin, je choisis... on se choisit. Je propose un projet et j'embarque. Et on embarque et on a embarqué ensemble. On vit longtemps, on apprend à se connaître. Et Camilles, qui vient d'un milieu musique, concert, qui a une musique politique très engagée et pas du tout dans mon univers théâtral marionnétique, Kenza, qui danse le crump, et aussi elle dans son univers autre, etc. Donc, il faut se rencontrer. Et puis, ça marche ou ça ne marche pas. Une famille, ça grandit dans l'amour. C'est vraiment dans l'envie de les rendre bello comme moi je les vois. Quand je les ai vues, quand j'ai vu Camilles en concert, quand j'ai vu que je vois Kenza danser, je me dis: OK, c'est autour de ça. Et laisser la place dans la fabrication d'un spectacle pour que chaque personne puisse être elle-même avec toutes ses qualités. Et sur les premiers temps de travail, on a beaucoup discuté de nos questions d'identité parce qu'on peut avoir une apparence et on projette. Par exemple, hier, au bord de plateau, quelqu'un me renvoie une question et je comprends que cette personne pense que je suis une femme cis hétérosexuelle et je me dis: OK, on pose aussi un jugement sur moi. Je ne suis pas ça. Et pour autant, parce que je n'ai pas un look marginal, je ne sais pas, peu importe. En tout cas, je porte quelque chose de sage et donc je n'ai pas cette apparence. Et on a beaucoup travaillé autour de ça parce que même si ça n'est pas flagrant visuellement, pour autant, tous les interprètes, on est tous sur des fils sur nos questions d'identité et d'amour. Donc ça nous a unis aussi. Et la famille, elle a commencé comme ça.
Martha
Du coup, c'est ce que te renvoie cette personne hier en bord de plateau, où tu constates, tu peux faire autrement que l'accepter. Mais quand je t'avais entendu dire: Je fais famille, je n'avais pas entendu seulement et peut-être que du coup, c'est moi qui ai projeté quelque chose. Je n'avais pas seulement entendu d'un point de vue artistique, j'avais aussi entendu d'un point de vue mise en sécurité commune, ne plus être potentiellement "agressable" ou enquiquiné·es par le monde.
Caroline Guyot
Ça, pour moi, il y a vraiment... Le personnage de Leticia, quand j'ai lu ce roman, moi, je me suis identifiée à Leticia et je me suis dit: OK. Ce qui veut dire que pour moi, dans l'écriture, il y a une force universelle. À savoir, avec cette histoire-là, on a tous vécu une chose identique à 14, 15, une espèce d'amour exacerbé de se dire: je vais mourir si elle ne se retourne pas sur moi pendant le cours de maths. Je vais mourir tout de suite. J'ai récupéré son stylo, je vais dormir avec. Moi, je pouvais vivre des choses comme ça d'une intensité incroyable et c'est là où je me suis retrouvée. Donc, je me suis dit: On est au-delà de ce qu'on vient mettre comme étiquette. On est simplement sur une histoire de construction, d'amour et de qui je suis. Mais cette question-là, on se la pose, je l'espère, à chaque étape de notre vie, à tout moment, on se demande qui on est.
Martha
Dans ton spectacle, il y a une catharsis énorme qui se met en place. C'est-à-dire que quand Leticia meurt, c'est affreux à dire, mais dans ce qui me lie à elle, elle meurt aussi pour moi. Et du coup, ça me fait penser à une chose, c'est ces trois phrases. J'entends: "Je suis Leticia Queen et je suis prête." Elle se dit que tout est possible. Moi, j'ai connu cette époque, cette époque où je sais que je n'ai pas à avoir peur du monde puisque j'existe, puisque je me sens, parce que je suis engagée. Et très, très vite ensuite: "quelque chose ne passe pas." Et en plus, avec la voix de Camilles, quand elle dit: Quelque chose ne passe pas, c'est une gravité qui se met en place. Et la troisième, "Maman, prends-moi dans tes bras." Je suis émue de ça. C'est mon podcast, je te préviens.
Ensemble
Rires ensemble
Martha
Tu es un peu mon alibi, en fait.
Caroline Guyot
Ça me fait plaisir, Martha. Vraiment !
Martha
Je veux dire que ces trois phrases, c'est ce qui nous articule. À quel moment on abandonne les personnes, dans ces trois phrases, à quel moment on les abandonne à leur solitude morbide qui fait que certaines se suicideront et d'autres seront assassinées. Dans ces trois phrases, à quel moment elles sont abandonnées ?
Caroline Guyot
C'est moi qui suis émue là. C'est tellement inconcevable. Je rejoins l'histoire de la famille de tout à l'heure et pourquoi faire famille ; je crois que je suis une maman et je l'ai toujours été avant même d'avoir des enfants. Je voudrais avoir un parachute immense pour pouvoir protéger vraiment. Je te disais, quand on s'est vu vendredi, je te disais: Moi, je ne peux pas faire des spectacles si je ne suis pas traversée. Et je suis traversée par cette nécessité de dire: Protégeons nos enfants! Ça m'est insupportable, ça m'est incompréhensible. Mon précédent spectacle parlait d'une princesse qui tombe amoureuse d'une fée. Et là, je m'adresse à des enfants plus jeunes. C'est l'amour, l'amour, c'est magnifique. Pourquoi est-ce qu'on le range dans une case ? Pourquoi est-ce qu'on n'arrête pas de tout le temps dire aux enfants, pourquoi est-ce qu'on dit aux petites filles: Attends, un prince. Et en plus, les petits garçons, eux, ils s'en foutent, ils veulent aller jouer au foot, ils s'en foutent de l'amour. Chacun est dans des espèces de cases et d'attendus. On projette tellement de choses sur les enfants. Et après, qu'est-ce qu'on espère qui se passe quand ils seront adolescents ?
Caroline Guyot
Si toute leur enfance, on leur a dit: Sois fort, fais du sport, bagarre toi, tu ne dois pas pleurer, tu es un garçon. Est-ce qu'on attend qu'à 14 ans, quand Leticia lui déclare son amour, on attend qu'il fasse: Ce n'est pas réciproque, mais merci ton amour. Non, en fait. Donc c'est tout ce chemin, c'est toute cette pensée-là qui est à revoir et de penser à nos enfants dès le plus jeune âge.
Martha
Je trouve que la dernière phrase: Maman, s'il te plaît, prends-moi dans tes bras, c'est malheureusement la raison de la fin. Je pense que ça aurait dû être fait avant. Laisser nos enfants ou nous-mêmes faire nos expériences de nos rêves sans avoir un matelas ou un filet de sécurité, c'est nous mettre en danger. C'est presque scandaleux de nous laisser faire ces expériences de genre d'identité toutes seules. Où sont les mamans ? Je n'ai pas du tout confiance dans les papas, je te le dis. Mais où étaient les mamans ? C'est pour ça que nous sommes en train de nous entretenir, c'est que j'ai entendu ça au foyer. C'était ça que j'avais entendu. Je suis bien content de t'avoir cueillie aussi d'abord.
Ensemble
Rires
Caroline Guyot
Oui, mais après, c'est des parcours. Là, tu touches aussi à mon intimité à moi Dans ma famille à moi, il n'y a pas de papa, on est deux mamans et on a deux garçons. On est aussi à un endroit autre. On élève nos garçons qui sont grands maintenant et je suis hyper fière de voir que le fait d'avoir eu deux maman, j'ai deux fils qui sont dans une ouverture ou même une souffrance, parfois de constater que ce qu'ils pensent, eux, ce qui leur paraît naturel, ça ne l'est pas. Ça a été quelque chose de difficile, par exemple, à l'adolescence, pour mon plus grand, de se rendre compte que ce qui lui paraissait naturel, quand on tombe amoureux d'une personne, que nous ne sommes pas assignés à un genre, à la naissance que tout peut bouger. Toutes ces questions-là, c'est douloureux quand il s'est confronté à ses camarades qui n'étaient pas dans cet esprit-là. Après, on fait famille avec les amis qui nous ressemblent, c'est ça qui est une force. Je dirais que les mamans parfois, elles sont remplacées par la famille amie, amireuse.
Martha
Je suis en train de penser à quelque chose, c'est que Brandon va sortir de prison dans quelques années. Il aura donc 39 ans. C'est ce qu'il...
Caroline Guyot
C'est ce qui est dit dans le roman...
Martha
Que ce qui s'est passé pour ces deux adolescents: on a perdu bien sûr Leticia avec toute sa splendeur, dans cette espèce de découverte mutuelle, il y a cette capacité à normer et à enfermer dans les genres... On a fait aussi deux victimes dans cette histoire, parce que Brandon, dans ses passages à l'acte qui sont liés à de la conformation, il répond à la demande de la société...
Caroline Guyot
Oui, c'est ça. Il ne peut pas ne pas passer à l'acte. L'image qu'il a donnée de lui... Dans le roman, il y a plein de passages où on découvre qu'il a insulté Avri, la meilleure amie de Leticia, en la traitant de sale négresse, qu'il a des croix gammées dessinées dans son casier. Il correspond à un profil. Il s'est dessiné un endroit, le bad boy de l'équipe de basket, etc. Il est dans une image. Après, on apprend aussi qu'il est élevé dans une grande violence, que son père le bat, que sa mère est toxicomane. Il y a aussi un milieu, évidemment, très difficile. Donc, on comprend le contexte de comment s'est construit Brandon. Donc oui, on a deux victimes dans cette histoire, complètement.
musique
River Deep, Mountain High...
Martha
Et ce qui est fou dans cette histoire... C'est tout le côté politique et ce qui est en train de nous arriver. On vit vraiment une époque qui est traumatisante parce que nous sommes impuissants et impuissantes face à ce qui se passe. Et j'ai l'impression que nos destinées entrent dans un monde pour lequel on n'est pas fait du tout ou on n'est plus fait. Et ces arriérés qui prennent le pouvoir aujourd'hui, ces gens d'un ancien temps, ont un pouvoir colossal. Comment nous, on va survivre de main à tout ça? Le spectacle que j'ai vu, j'aimerais qu'il soit juste préventif ou pédagogique. Et si, dans le fond, il était prémonitoire ?
Caroline Guyot
On aimerait pouvoir raconter d'autres histoires, qu'on n'ait pas besoin de raconter cette histoire-là. J'espère que ça n'est pas prémonitoire et pour autant, on voit bien qu'on est, tu disais tout à l'heure dans le bord de plateau, des adolescents qui partent parce qu'ils ne veulent pas se confronter à la parole, parce qu'ils savent qu'ils vont ou devoir se taire ou devoir dire des choses qu'ils peut-être n'assument pas, en tout cas de les verbaliser à voix haute devant d'autres groupes. Préventif, oui. Après, c'est notre toute petite goutte d'eau dans la mer, le théâtre, parce que ça concerne quelques spectateur·ices qui viennent à un moment précis, à un instant précis. Mais moi, j'y crois. C'est pour ça que je fais ce métier-là. C'est cette force-là de se dire: On est vivant et on est en face de vous. C'est encore un autre rapport parce que je ne sais plus qui, dans un autre moment d'échange qu'on a eu cette semaine, quelqu'un me disait: Pour autant, les représentations évoluent dans les séries télé, dans les films, etc. Mais tout reste quand même très normé et c'est presque même, on coche une case, on a une personne trans, on a une personne racisée, etc... Moi, je trouve ça, en tout cas, évidemment, ça bouge et il y a des choses formidables, mais je ne ressens pas qu'on me raconte l'histoire d'une personne. En plus, la plupart du temps, c'est toujours dans des endroits négatifs ou il est question de mort ou de violences. C'est le cas aussi dans cette histoire, mais c'est le point de départ. Ce que j'espère, en tout cas avec cette histoire, c'est qu'on oublie ce fait divers pour découvrir la flamboyance de Leticia et que Leticia, c'est nous, c'est chacun d'entre nous, une flamboyance qu'on ose vivre ou qu'on n'ose pas vivre. Et pour moi, c'est vraiment ça: est-ce qu'oser vivre sa flamboyance à quel qu'endroit que ce soit dans la vie tous les jours, ça mérite d'être jugé·e, haï·e, blessé·e ou tué·e ?
Martha
Je crains aussi que cette flamboyance, ça soit la raison du meurtre. C'est un peu comme si Leticia n'avait pas les clés pour être prudente.
Caroline Guyot
Ça rejoint ce que tu disais tout à l'heure: Maman, protège-moi. C'est quelle clé on donne et comment on protège. Mais ça ne doit pas être que le rôle des mères, ça doit aussi être le rôle de toute la société. On doit protéger nos enfants, tous, les enseignants, tout le monde. Les enseignants font ce qu'ils peuvent aussi dans des classes à 35 où il y a des grandes violences. Je ne veux surtout pas faire de généralité parce que j'en ai rencontré plein encore cet après-midi, qui sont formidables. Mais on doit tous, à chaque endroit, être un allié, à chaque endroit, de quelque discrimination que ce soit. On doit être des alliés et on doit dire non. Quand on entend une parole violente envers quelqu'un dans le métro, on doit dire non, on doit prendre la parole et ne pas avoir peur, ne pas se cacher. Mais si tout le monde le fait un tout petit peu, ça peut bouger. Moi, je crois à ça, je me dis que c'est à cet endroit-là qu'on peut avoir une force.
Martha
Oui, c'est ça. C'est à ça que sert le spectacle, le tien ou le spectacle en général, finalement. C'est donner au moins l'envie à quelqu'un de s'indigner. Ce spectacle, il est beau aussi parce que tu fais famille et puis tu fais famille dans des pratiques théâtrales qui se mixent, qui font corps. C'est un peu ton ADN, cette histoire.
Ensemble
Sourires
Caroline Guyot
Oui, j'ai un parcours professionnel. Comment dire ? J'ai fait plein de choses différentes. J'ai fait du clown, j'ai fait du cirque, j'ai fait plein de choses. Donc, j'ai toujours aimé mélanger des disciplines. J'ai travaillé pendant longtemps avec un collectif où il y avait des circassiens, des danseur·euse·s, etc. Oui, j'aime ça, le mélange des disciplines, le mélange des univers, le mélange des personnes, avoir vraiment aussi quelque chose qui soit brassé, pas lisse. Et puis, après, à un autre endroit, je suis assez fatiguée, mais je ne suis pas la seule, à la non-représentation de la vie de tous les jours et des personnes qu'on croise tous les jours sur les plateaux de théâtre. Mais on est nombreu·x·ses à penser comme ça.
Martha
C'est-à-dire ?
Caroline Guyot
C'est-à-dire que là, tout à l'heure, je prends le métro, je regarde autour de moi, j'écoute et j'entends des langues, je vois des visages, je vois des corps. Et ce n'est pas ces corps-là que je retrouve sur les plateaux de théâtre.
Martha
Oui
Caroline Guyot
Ça bouge, il y a plein de choses. Il y a des gens qui commencent, mais malgré tout, ça reste... Et pareil, un ado me disait: Moi, j'aime aller au théâtre avec mon copain qui est Algérien, mais il ne se retrouve pas sur les plateaux.
Martha
Je parlais aussi... Je parlais de cette mixité, c'est effectivement, tu l'as vue... La marionnette, c'est venu comment dans ce spectacle ?
Caroline Guyot
C'est venue avec l'envie de ne pas représenter avec un seul corps, avec un seul ou une seule artiste, comédien, comédienne, de pouvoir traverser des apparences, des images, d'être aussi dans le fantasme, dans le rêve, puisqu'on est autour d'un vêtement qui est marionnétique. La seule marionnette qui est figurative, c'est celle qui représente Leticia toute petite. C'était vraiment important aussi pour moi de remettre l'enfance. Tu disais tout à l'heure: Protégeons nos enfants, etc. Mais oui, parce qu'en fait, là, toute petite, c'est là que tout commence. Et à sept ans, on se met du mascara, etc. Donc c'était important que l'enfance soit là, mais après, on navigue dans tous ces Mois rêvés. Et là, encore une fois, cette envie d'être dans l'universel, de faire que chaque spectateur·ice puisse se projeter, de se dire: Je ne sais pas quel visage, quel corps, quelle forme, je le projette sûrement un bout de moi à travers ça. Donc, ça permet d'ouvrir l'imaginaire et de voyager à partir de ses propres émotions quand on reçoit ça.
Martha
Le plateau est vide et tout attend. Rien ne se passe sans la vie qu'on y insuffle. Et ça, ça vaut pour tous les spectacles, mais tout particulièrement pour le tien, parce que le plateau est tellement occupé. Il y a tellement d'endroits où se cacher où se préserver. Jusqu'à ce monolithe que vous avez créé. Tout le long du spectage, je me dis: Mais devant quoi on est en train de se prosterné. Je crois que c'est merveilleux que ça se termine comme ça se termine. Ça va très, très vite du bas vers le haut. Donc, le bas, c'est l'intime, c'est le tout petit qui pourrait naître et qui, finalement, ne naît pas, mais s'envole tout de suite. Et moi, je trouve que ce monolithe, il nous représente bien. La question est de savoir comment est-ce qu'on peut en sortir demain? Comment est-ce qu'on fera en sorte que les gens osent demain davantage exister sans être en danger ?
Caroline Guyot
Pour moi, c'est dans l'amour et dans le soin, dans l'attention et dans le soin, prendre soin à tous les endroits et être là, être présent, retrouver une solidarité qu'on perd, un côté collectif qu'on perd aussi quand même beaucoup dans notre société. On s'est retourné, on s'est recentré très fort sur nous et les épisodes de confinement n'ont pas aidé à aller vers les autres. Ça nous a, je trouve drôlement repliées encore plus dans nos petites coquilles d'escargots. Il faut l'enlever, il faut oser sortir de cette coquille, nue. Tout à l'heure, on parlait des robes parce que dans le spectacle, la robe est très présente : j'appelle ça la peau choisie. C'est-à-dire le vêtement peut être, pour moi, une armure ou une tenue de camouflage, les jours où on n'a pas envie ou être un sapin de Noël, si on a envie de briller parce qu'à l'intérieur, on brille. Le vêtement, il a aussi cette force-là. C'est pour ça que c'est très présent aussi dans le spectacle.
Martha
Et qu'on s'y cache d'ailleurs.
Caroline Guyot
Oui, complètement.
Martha
On y est très vite perdu·e.
Caroline Guyot
Oui, on s'y cache. Et surtout quand on a 14 ou 15 ans, on se cache dans ses vêtements, mais pas que. Oui, on peut s'y cacher.
Martha
Les temps vont devenir difficiles parce que visiblement, ce n'est pas demain qu'on va péter la gueule au virilisme, aux masculinistes.
Ensemble
Rires
Caroline Guyot
Ça serait bien.
Martha
Ça serait bien, sauf qu'on est bien d'accord, le backlash est colossal. On a jamais vu un truc pareil, on n'en revient pas, jusqu'aux saluts nazis. Ça nous dépasse tellement cette histoire. Est-ce que le moyen de survivre demain, quand on voit ton spectacle, on voit à quel point vous-même, vous faites communauté, communauté de sens, communauté de regards, de sourires. Est-ce que la solution, est-ce que c'est finalement le communautarisme, se mettre en communauté ?
Caroline Guyot
Oui, c'est la solution. En tout cas, pour moi, je ne sais pas si c'est le mot communautarisme, mais c'est être ensemble.
Martha
Je fais exprès de dire communautarisme parce que d'autres gens disent que ce n'est pas bien et moi, je crois que ça nous sauve.
Caroline Guyot
Oui, moi aussi, parce que quand tu parles de famille, c'est bien ça. C'est des familles où on se retrouve et on se sent en sécurité, on se sent aimé, où on peut se déployer. Mais c'est aussi d'étendre ça en donnant confiance. Je crois beaucoup encore, sinon je pense que j'arrêterai de faire des spectacles également à destination de la jeunesse et du jeune public, je crois beaucoup à ça, à donner confiance dans le spectacle précédent dont je te parlais ou des mes petites filles viennent me voir à la fin en me disant: Moi non plus, je n'aime pas les robes de princesse ou moi aussi, je rêve d'être camionneuse, footballeuse. C'est de dire: Tu peux. Et ce que je leur dis... J'ai un long bord de plateau où souvent, je leur dis: Vous pourrez faire tout ce que vous voulez dans votre vie. Ils ont entre 8 et 9 et pour moi, c'est hyper important de leur dire ça à cet âge-là. Vous pourrez, et je fais exprès, de dire camionneuse, footballeuse, etc.
Martha
Tu fais la révolution, tu fais la révolution, si, si. (Martha rit)
Caroline Guyot
Et je dis aussi des mots: Vous pourrez être sage-homme, maître au des bébés, vous pourrez être maître d'école, infirmier. Je fais exprès de taper dans les professions qui sont tellement genrées. Par contre, il y a une chose que vous ne pourrez jamais décider, c'est de qui et quand vous tomberez amoureux. Je peux juste vous souhaiter aujourd'hui que ça vous arrive parce que c'est la plus belle chose au monde, et amoureux au sens large, amoureux de plein de gens, amoureux de la vie, amoureux de l'amour, amoureux des autres. C'est à cet endroit-là. Donc c'est dans la confiance et dans l'amour. Si on arrive à transmettre ça, la confiance et l'amour, je me dis que l'espoir, il est là.
Martha
J'aurais voulu que ça soit le mot de la fin, mais je pense trop aux Adelphes qui sont seul·es pour essayer de se découvrir, se cherchent pour se trouver et exister... et dans le spectacle, ça finit par mourir et se perdre. Et donc, comment est-ce que demain, on fait en sorte de pouvoir commencer à exister en ayant le bonheur d'exister quand on est adelphe, quelque part, qui écoute peut-être ce podcast à cet instant? Qu'est-ce qu'on lui dit ? Comment est-ce qu'on fait pour rejoindre une communauté ?
Caroline Guyot
C'est là où le mot, justement, ce que tu disais, la communauté est essentielle. Il y a des tas de groupes d'associations, les réseaux, où on nous aide aussi à ça, à trouver des gens à qui parler, échanger, qui nous ressemblent. Même au fond des campagnes, quand j'étais en tournée il n'y a pas très longtemps, j'ai rencontré une personne qui vit au fin fond de la campagne et qui est justement en plein questionnement sur son genre, sur son identité. On a beaucoup échangé. C'était juste le point de départ, mais simplement de lui dire: Il y a telle association, il y a tel endroit, tu vas pouvoir rencontrer des gens qui sont au même endroit ou qui ont vécu des choses comme toi. Pour moi, c'est vraiment là. C'est un moment à être avec nos pairs, avec des gens qui ont traversé des histoires et qui maintenant sont prêts à pouvoir accompagner. La transmission, elle est essentielle pour ça. Il ne faut pas rester seul·e, quelque soit son endroit, la solitude, c'est...
Martha
Tu as vécu ça, toi, déjà, par exemple, le fait de ne pas pouvoir sortir de ton lit?
Caroline Guyot
Oui, pour plein d'autres raisons, mais oui, parce que là, tu vois le côté brillant, le spectacle, le décor est monté, tout le monde est là, on est dans la salle, il y a du monde. Mais avant d'arriver à ça, il faut rencontrer des des gens qui sont OK pour embarquer dans cette aventure. Et ce n'est pas simple de monter en 2025 un spectacle qui va parler de transidentité avec une volonté forte de s'adresser au public adolescent aussi. Ça prend du temps et ça décourage C'est difficile. C'est des budgets, c'est des financements, c'est des partenaires, c'est une réalité économique, la réalité artistique budgétaire, tu vois bien, tu entends, au Pays de Loire, l'Héraut, comme tous les robinets, là, ça ferme. Donc, si on n'arrive plus à pouvoir raconter des histoires, à raconter ces histoires.
Martha
Oui, c'est là, on ne peut plus militer, pour le coup.
Caroline Guyot
Oui, c'est ça.
Martha
Donc, ils pourraient choisir de couper cette militance ?
Caroline Guyot
C'est ça qui, moi, me fait peur. Je pense que c'est vraiment à ces endroits-là où ça va devenir très compliqué. Qui a le courage, est-ce que peut-être c'est un trop gros mot, de programmer un spectacle comme celui-là, de faire entendre cette histoire-là ? Moi, J'entends chez les programmateurs, des gens qui disent: Il y en a marre des spectacles sur le genre, sur l'identité, il y en a plein. Passons à autre chose. Il faut créer des produits. Et même dans la culture, on est à un endroit où il faut créer des produits, il faut inventer quelque chose qui n'a jamais été inventé. On lutte aussi. Donc oui, il y a des moments où c'est difficile de se lever pour aller prendre son petit baluchon, sa petite valise de VRP pour aller dire: Suivez-nous !
Martha
Quel bonheur ça aurait été de te rencontrer, Caroline. Merci beaucoup.
Caroline Guyot
C'est réciproque, Martha.
Martha
Merci de ce voyage que tu nous as permis. Tu as sacrément bossé et ton équipe aussi, bien sûr.
Caroline Guyot
Merci beaucoup.
Martha
À bientôt.
Caroline Guyot
À bientôt.
Toi qui a écouté ce podcast, tu fais sans doute partie de l'opinion publique qui majoritairement en France pense que nous sommes discriminées en tant que personnes trans (63% de la population). Maintenant si ta considération nous réchauffe le coeur, elle n'empêche pas la violence que nous subissons. La manière dont la communauté LGBTQIA+ est attaquée nécessite que toutes les forces de progrès se regroupent contre les assauts intégristes. Dis-toi que si nous sommes attaqué·e·x·s en tant que personnes trans, c'est que nous représentons une partie négligeable de la population. Nous sommes un groupe tellement minime (0,33% de la population en extrapolation de statistiques canadiennes) que nos voix sont inaudibles quand on nous torture l'âme ou le corps. Nous sommes peu mais autant de personnes qui souffrent et ont le désir d'exister et de faire société. On nous attaque aisément parce que nous pouvons devenir des boucs-emissaires inoffensifs par le nombre et faciles à ostraciser puisque hors-normes au même titre que les autres minorités. Ne pas vous mobiliser à nos côtés c'est à coup sur accepter l'idée de laisser s'installer un pouvoir populiste qui finira par controler votre majorité en ayant distrait votre attention en agitant le leurre des minorités. Ainsi, en toute impunité les virilistes, les fachos et les virilistes-fachos, nous mettent sur leur tableau de chasse des entités contre-natures à abattre pour mieux controler vos natures majoritaires endormies dans le confort de leur existence normée, dociles.
Le spectacle L'Enfant Mascara a tourné durant tout le mois de mars au Canada. Là-bas comme à Paris, les salles étaient pleines et ce fut un immense succès. Cela signifie que bon nombre de personnes comprennent nos existences et surtout leur donne une place dans leur coeur. Alors ! une fois pour toutes, passez du coeur à la conscience active! Luttez à nos côtés pour une société inclusive! Inclusive dans la convergence des luttes, contre toutes les oppressions. C'est le seul rempart au neofascisme.
La distribution : Camilles Cario, Kenza Deba, Simon Dusart et Antonin Vanneuville et ci-dessous pour archive...
Des repères:
Combien de jeunes trans en transition médicale en France ?
Concernant le nombre de personnes Trans en France, il n'y a pas de données statistiques, entre 0,33% par extrapolation des données du Canada, et 1%, on pourrait s'accorder sur 0,78% soit 532662 pers. Autant de destins qui ont pour revendication d'exister.