08/08/2020

Psychophobie en milieu militant

Temps d'écoute : 21'40'

 

 


Ana est étudiant.e en science cognitive. Avant tout militant.e antispéciste et féministe, iel tente de sensibiliser au quotidien sur la psychophobie et le psychovalidisme.
 
Le mythe du parfait végane est un mythe psychophobe. Entre les TCA, et l'épuisement psychologique lié aux différentes oppressions, la pression mise sur la santé mentale de militant.e.s est énorme. Ana présentera un état des lieux de la psychophobie en milieu antispéciste, et quelques conseils à l'attention de neurotypiques.

 

 

Version à lire :

(Transcription conférence psychophobie dans les milieux militants réalisée pa Ana.)

 

Je vais donc parler de psychophobie. D’ailleurs, il faut plutôt dire psyvalidsme, mais j’ai écrit ma conférence avant et c’est un peu compliqué pour moi de changer de terme.
C’est par rapport au fait que le terme (suffixe) phobie est souvent utilisé après à mauvais escient mais je pense que ce n’est pas le principal de l’information

Je m’appelle Ana, je suis psychoatypique et je suis aussi étudiant en sciences cognitives, si jamais vous avez des questions dessus car ça peut toujours être intéressant. C’est un milieu qui est extrêmement spéciste, validiste et très binaire, il y a beaucoup de choses à dire.
Je vous préviens, je ne sais pas si je pourrais le dire à chaque fois mais je vais citer des propos violents qui sont dits envers des personnes psychoatypiques ou neuroatypiques. Pour vous donner une idée, ça va des insultes à l’incitation au suicide, je préfère prévenir.

La psychophobie est présente partout dans nos milieux et ne se concentre pas que dans les milieux militants.
Toutefois il est primordial de remettre en question nos comportements et nos attitudes.
Il faut qu’on puisse, en tant que personne opprimée au quotidien, se concentrer sur des moyens d’action et sur des choses utiles à faire plutôt que de devoir gérer des remarques oppressives et des comportements qui sont très présents.

Alors j’avais préparé un petit schéma mais je n’ai pas pris les diapo donc on va juste imaginer mon schéma.
J’ai noté les mots psychophobie (psyvalidisme) et validisme. La psychophobie fait parti du validisme donc imaginez juste un cercle ancré dans un autre, et on en reparlera tout à l’heure.
La psychophobie, c’est l’oppression et la discrimination envers les personnes psychoatypiques.  Elle fait parti du validisme
Le terme psychoatypique, on reprend les cercles. Un grand cercle avec psychoatypique et un autre dedans avec neuroatypique, qui est plus spécifique.
Psychoatypique : globalement quand on a des troubles qui viennent perturber le fonctionnement « normal » du cerveau, par normal on entend ce qui est accepté par la norme et la majorité de la population. Dans la psychoatypie, on a notamment les troubles de la personnalité, le syndrome de stress post traumatique (PTSD), la dépression ou plein de « petites » choses comme ça qui modifient quand même assez radicalement le fonctionnement du cerveau et peuvent engendrer des comportements qui peuvent être très mal compris
Le terme neuroatypique, c’est plutôt quand on naît et que notre cerveau fonctionne déjà différemment de la norme. Donc ça comprend notamment les troubles du spectre autistique, les troubles dys, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). C’est un peu plus « fort » dans le sens où ça ne va jamais se guérir, donc dire de faire des soins ou des choses comme ça ne sert à rien, car le cerveau fonctionne différemment.

Nous allons intégrer la psychophobie même lorsque nous sommes concerné.e.s, comme pour toutes les oppressions. Ca peut vraiment nous empêcher de demander de l’aide, des aménagements ou de laisser apparaître publiquement que nous sommes psychoatypiques, notamment je pense pour les personnes racisées qui sont déjà perçues comme des personnes dangereuses, et le fait de montrer, je ne sais pas, par exemple une personne qui aurait des troubles du spectre autistique, ça va être compliqué d’avoir certains comportements (stimme), c’est toujours empiré avec les autres oppressions, le sexisme aussi mais je n’aurais pas le temps de trop développer

Nous faisons des efforts constamment pour avoir l’air valides tandis que les personnes neurotypiques (inverse de neuroatypique, donc quand le cerveau fonctionne comme dans accepté dans la norme) vont prendre notre place, nous invisibiliser et surtout catégoriser les politiques, les violeurs et les meurtriers de fou, taré, cinglé, malade mental, schizophrène, retardé, débile, psychopathe et autres insultes extrêmement psychophobes car ça nous fait passer pour des personnes qui sont nécessairement dangereuses. Ça dit aussi que les personnes dangereuses sont psychoatypiques, alors que pas forcément.

Globalement, il ne faut pas penser et dire que les personnes psychoatypiques sont incompétences, pas autonomes, violentes, imprévisibles, irrationnelles, incapables de savoir ce dont elles ont besoin ou incapables de comprendre ce que vous dites, et plus précisément par rapport à notre milieu (*conférence réalisée à l’UELA), de mauvais.e.s militant.e.s ou de mauvais.e.s végane.s
Il est important de comprendre que nous ne sommes pas non plus incapables mais simplement autrement capables. On capte et on traite les informations différemment de la norme, et de manière générale aussi, car le psyvalidisme est très lié au validisme en lui même. Souvent, on suppose qu’une personne qui a un handicap physique a un handicap psychique ce qui n’est absolument pas le cas et ça ne sert à rien de partir du principe que quelqu’un ne sait pas comprendre ce que vous dites.

Pour comprendre comment une personne va anticiper sa journée quand elle est handicapée, neuroatypique ou psychoatypique, Christine Miserandino a inventé la théorie des petites cuillères. Probablement que certain.e.s connaissent.
Globalement, une cuillère représente une quantité d’énergie, et on a une quantité de cuillères fixe. Souvent quand on essaie d’expliquer, on dit qu’on en a entre 12 et 18 à peu près.
Pour vous donner une idée, prendre une douche c’est une cuillère, s’habiller c’est une cuillère, préparer à manger c’est deux cuillères, manger c’est une cuillère. Ça dépend des personnes mais ce petit truc de base de se doucher, s’habiller et manger (un repas) ça peut bien prendre 5 cuillères dans la journée. Et quand on en a 12 et que par exemple on veut aller en manif, j’ai estimé selon mes statistiques personnelles que faire une manif c’était environ 6 cuillères, et on parle d’une manifestation pacifiste tranquillou pépère, donc on est à 11 cuillères et si on en a que 12 on ne peut même pas aller à la manifestation, car aller à la manifestation ça va prendre 2 cuillères. Donc bah bonne chance pour militer.
C’est difficile de comprendre que les personnes qui parlent de quantité d’énergie ou de cuillères n’ont pas la flemme, mais c’est très important de le comprendre et de ne pas inciter ces personnes là à repousser leurs limites parce qu’en fait on va juste être fatigués et on aura pas de cuillères supplémentaires le lendemain, on en aura moins car on en aura trop épuisé, c’est vraiment une quantité d’énergie.

Pour le milieu antispéciste plus particulièrement, on a un mythe du vegane parfait. Alors je vais dire « le » vegane parfait car je préfère m’énerver contre un homme cis hétéro que contre des gens qui subissent déjà des oppressions. Ah, et il est blanc, le vegane parfait est toujours blanc.
Donc on a un petit archétype. Le vegane parfait milite sur le terrain, accueille des animaux chez lui ou mieux a crée un sanctuaire, souvent avec sa copine qui est très invisibilisée. Il est straigt edge (j’en reparlerai plus tard), anticapitaliste, sait vérifier la scientificité d’une information. Il est zéro déchets, fait de la permaculture, fait beaucoup de récup, et la récup est toujours « 100 % vegan évidemment », je pourrais en parler plus tard sur pourquoi ça m’énerve beaucoup car je ne sais pas trop gérer mon temps.
Le vegane parfait est super actif sur les réseaux sociaux, son discours est sans failles, il ne fait jamais une erreur, il ne va jamais acheter un produit contenant de la poudre de blanc d’œuf, ça ne lui arrive jamais, et même ses chat.te.s sont passés à une alimentation végétalienne sans problème et croyez moi ce n’est pas si simple que ça. Et le plus important, c’est que le vegane parfait ne s’accordera jamais le droit de faire une pause dans la lutte antispéciste car les animaux non humains ne peuvent pas se défendre et donc on doit être là pour elleux. Et c’est extrêmement problématique parce que on a pas toustes les mêmes ressources économiques, psychique et psychologique. Je ne parlerai pas de classisme mais il y avait une très bonne conférence l’année dernière sur la précarité et le véganisme (lien à la fin)

On fait tous et toutes des erreurs et des écarts, et c’est important de comprendre que ce n’est pas grave car ce n’est pas ça qui va radicalement changer le monde, et il ne faut pas qu’on se culpabilise pour ça.
De toute façon le vegane parfait oubliera très très souvent la putophobie, la grossophobie, l’agisme, le validisme, le psyvalidisme et le classisme. En fait toutes les luttes qui… en fait toutes les oppressions. Souvent il a quelques notions sur le racisme et le sexisme mais on sait très bien que notre milieu est extrêmement raciste notamment...
Le vegane parfait fera souvent une remarque sur le fait qu’on ait encore des chaussures en cuir ou qu’on a récupéré des produits d’origine animale dans la poubelle, vraiment des trucs où des fois on a d’autres problèmes et c’est vraiment pas la priorité en fait. Globalement l’idéologie de pureté qu’on a dans nos milieux par rapport à cet archétype du vegane parfait fait que nous excluons totalement la légitimité des personnes qui n’ont pas les moyens d’en faire autant, qui font quelques écarts de temps en temps car psychologiquement c’est impossible de faire autrement. Le mythe du vegane parfait nous fait culpabiliser sur le moindre faux pas et quand on est psychoatypique c’est compliqué.
Globalement les oppressions que nous subissons ne peuvent qu’entraver nos capacités à tendre vers un mode de consommation le plus éthique possible pour les êtres sentients et je définis que c’est globalement un mode de consommation vegane, anticapitaliste et écolo. Donc en gros manger des produits 100 % vegane évidemment venus de la poubelle, et zéro déchets, pas dans du plastique sinon ça tue les poissons.

Je vais parler vite fait de l’addiction parce que certains troubles et certaines maladies conduisent à des addictions voir à des comportements autodestructeurs et les processus cognitifs sont un peu les mêmes donc ayez la même attitude pour les deux. A partir du moment où vous n’êtes pas en danger et que la personne n’est pas en danger, ben en fait laissez juste les personnes faire les petits trucs qui leur permettent d’aller bien dans leur coin. Si les personnes s’automédiquent avec des produits qui sont illicites ça ne vous regarde pas, et à partir du moment où ça n’a pas de conséquences sur vous, voilà. Que personne ne vienne ici le faire en plein milieu de la salle mais on a des coins pour ça et c’est très important de garder ces zones  « safes » un peu à l’écart pour ne pas inciter et en même temps pour permettre ces personnes de ne pas se sentir totalement exclues parce que l’isolement social ne fait qu’empirer les addictions, lorsqu’il n’en est pas la cause même.
Les addictions peuvent concerner les drogues, alcool et médicaments compris même si souvent les médicaments sont prescrits ce qui donne une petite différence, le sexe, les jeux d’argent, les jeux vidéos et les TCA (etc)
Il est important de toujours retenir qu’on milite mieux quand on est vivant.e que mort.e, par rapport à l’automédication notamment, c’est souvent vital donc ça sert à rien de décider à notre place : on trouvera autre chose, une solution, un substitut qui sera peut être pas safe. J’aimerai que l’on proscrive toutes les remarques à base de « tu sais que ton médicament il est testé sur les animaux », je pense qu’on le sait tous et toutes, ou des trucs à base de « oui mais y’a du lactose dans ta pilule et c’est pas vital », en fait ça peut être important pour certaines personnes donc c’est important de ne pas faire culpabiliser

Quand on est psychoatypique on reçoit constamment des injonctions contradictoires : « tu devrais prendre des médicaments / tu ne devrais pas en prendre » « tu devrais voir un psy/ tu ne devrais pas voir de psy », d’ailleurs arrêtez de conseiller des psychanalystes, « tu devrais te faire hospitaliser  / tu ne devrais surtout pas te faire hospitaliser », en fait il y a toujours des injonctions contradictoires et les personnes neurotypiques pensent mieux savoir et nous disent tout et son contraire ce qui est « un peu » chiant
Nous avons surtout, très souvent des angoisses incapacitantes et on nous rabâche toujours des choses telles que « prends des fleurs de Bach » « fais du yoga » « fais de la médiation » ou alors « c’est dans ta tête, ça se travaille, prends sur toi ». Alors on nous dit toutes ces phrases et je ne veux plus jamais les entendre dans les milieux militants ou de la part d’une personne militante, on nous le dit tout le temps et si ça marchait si bien je crois qu’on serait toustes en train de faire du yoga actuellement au lieu de m’écouter. On m’a aussi dit une fois « tu vas mal car tu refuse de faire de la sophrologie », et bon...
Globalement, toutes les remarques où vous dites à la personne quoi faire, juste non, stop.

Pour revenir sur l’usage de drogues en général on en consomme pas vraiment par effet récréatif quand c’est tout les jours, je pense que c’est assez évident. Il est donc important de prévoir un espace pour consommer de manière safe, même si on a le coin fumeur/alcool, ça serait aussi bien qu’il y ait toujours en accès libre des trucs pour réduction des risques, roule ta paille, seringues stériles parce qu’il vaut mieux en avoir que pas. Et l’argument de l’incitation n’a pas lieu d’être, je crois que personne n’a commencé à prendre des drogues dures en succombant au packaging des roule ta paille. Je rappelle quand même que ce n’est pas idéal lors d’une action militante, et préservez vous, et c’est bien de pas inciter les gens et en même temps d’être lucide quand il y a la police pas loin.

Pour les TCA (troubles du comportement alimentaires)
Ça peut prendre plusieurs formes, de la restriction à la prise de nourriture de manière compulsive, des aliments qu’on veut absolument manger sinon on pète un câble.
Les troubles du comportement alimentaire sont souvent aggravés par la pression sociale, notamment la grossophobie, on nous dit souvent « tu devrais manger moins / plus », « tu es trop grosse / maigre », mais en fait gardez vos remarques pour vous
J’ai l’impression que l’hyperphagie et la boulimie sont ce qui pose le plus de problèmes vis à vis du véganisme car on peut difficilement contrôler ses pulsions et on peut manger tous vos placards ce qui est peut être un problème en communauté.
Certaines personnes vont souffrir d’un besoin irrépressible de manger un aliment en particulier, et on a notamment le fromage qui revient très souvent. Dans le fromage il y a de la caséine, et la caséine calme et est addictive, donc on en revient à l’addiction
On a quelque chose de moins grave selon l’antispéciste mais de plus grave selon l’écolo convaincu, le même qui achète sa viande dans une boite en plastique à carrefour, mais globalement il y a souvent des remarques sur le fait que quand on a des TCA on va acheter des produits industriels et surremballés.
Quand on a des TCA on peut en venir à manger des choses qui ne sont pas véganes, parfois qui viennent de la poubelle pour éviter d’en acheter, et c’est pas la peine de nous traiter d’hypocrite ou de mauvais.e vegane, voir (tw incitation suicide), j’ai essayé de rendre la phrase plus soft mais souvent des phrases type « tu devrais mourir comme les animaux qui ont été exploités pour te fournir ton fromage », et en fait non car il faut prendre en compte les composantes sociales et sociétales et on privilégia toujours notre propre survie, c’est important de le comprendre.
Aussi certaines personnes ne peuvent pas se contrôler à l’achat donc ça sert un peu à rien de dire « oui mais tu as qu’à pas acheter de POA comme ça tu en mangera pas », ça sert à rien car quand on a des troubles on ne se contrôle pas en crise donc les trucs préventifs comme ça c’est un peu compliqué de les respecter
Le fait d’imposer un véganisme strict à des personnes qui ont des TCA peut être dangereux, iels peuvent arrêter de s’alimenter ou beaucoup angoisser Les besoins crées par les TCA sont extrêmement vifs et se confrontent à nos convictions : mettre sa santé mentale en danger ou faire un écart
Et si je peux donner un conseil aux personnes qui ont des TCA : prenez votre temps si vous en avez besoin, évidemment si vous pouvez être vegane du jour au lendemain c’est bien mais beaucoup de gens ne peuvent pas et c’est important de le respecter, faites des écarts si vous en avez besoin car votre santé est plus importante que l’opinion des gens qui n’ont aucune idée de ce que c’est de vivre en étant psychoatypique. Je sais pas si quand on a des TCA on est forcément psychoatypique, mais ça va souvent de pair de ce que j’ai remarqué. Faites de votre mieux et rappelons que ce n’est pas la consommation individuelle qui changera le monde, et surtout vous êtes veganes même si vous avez des TCA

Je vais sauter un passage sur la phobie qui n’est pas très intéressant
Juste, les comportements de lynchage envers les personnes qui par exemple vont tuer une araignées car elles ont très très peur, ça sert à rien de venir leur dire « tu aurais du mourir à la place de l’araignée » ou des trucs comme ça, car quand on a une phobie et des troubles de manière générale, on est d’autant plus sensible aux remarques des autres

Pour conclure, soyez bienveillantes, ne vous moquez pas des autres et ne supposez pas que vous savez mieux que la personne concernée ce dont elle a besoin ou ce qu’elle ressent, vraiment de manière générale et pas seulement envers les personnes psychoatypiques, ne délégitimez pas les émotions des autres, ne mettez pas les autres en danger avec des injonctions à cacher leur maladie ou en les obligeant/incitant à prendre part à un évènement. C’est pas toujours possible mais ça nous met en danger. Refusez l’idéologie de pureté, ne participez pas à la banalisation de la psychophobie ou à l’exclusion des personnes psychoatypiques, l’isolement social tue.

Et si vous êtes concerné.e. vous ne méritez pas de culpabiliser, vous faites de votre mieux et c’est déjà beaucoup.

 

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