Je vais parler aujourd'hui de pensée critique, en vous proposant de décortiquer certains raisonnements et arguments fallacieux auxquels on est très fréquemment exposé·e·s en tant que militant·e animaliste. Même si ça y ressemble, ce n'est pas un "Top 10" ! Il existe d'innombrables raisonnements tordus et autres arguments invalides ; ceux-là sont justes des exemples parmi d'autres.
Temps d'écoute : 11'00''
Sommaire
1 - Définitions
2 - Les 10 raisonnements et arguments à mettre au compost
N°1 - Le raisonnement circulaire
N°2 - La généralisation abusive
N°3 - Le biais de confirmation
N°4 - Le sophisme par association
N°5- Le renversement de la charge de la preuve
N°6- L'appel à la majorité
N°7- Le faux dilemme
N°8- La pente savonneuse
N°9- La solution parfaite
N°10- L'argument ad hominem et l'attaque personnelle
3 - Attention ! Restons bienveillant·e·s...
4 - La pépite
Blog How I met your tofu
5 - Conclusion + citation de fin
Bonjour à tous et à toutes, et merci d'être à l'écoute de cette nouvelle chronique sur NONBI Radio !
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1 - Définitions
Commençons par définir trois termes : biais cognitif, sophisme, et paralogisme.
►Un biais cognitif est une distorsion dans le traitement cognitif d'une information. On parle de biais, car il s'agit d'une dérivation de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité.
►Un sophisme est un argument ou raisonnement ayant l'apparence de la validité, de la vérité, mais en réalité faux et non concluant, qui est énoncé pour tromper.
►Et enfin, un paralogisme est une erreur involontaire de raisonnement.
2 - Les 10 raisonnements et arguments à mettre au compost
►N°1 - Le raisonnement circulaire
Cette méthode argumentative est aussi appelée "effet cerceau". Elle consiste à produire une démonstration qui contient déjà l'acceptation de sa conclusion. Pour formuler autrement, cela consiste à affirmer qu'une chose est vraie... parce qu'elle est vraie. Ou par exemple, qu'un médicament est efficace parce qu'il fonctionne. Ou encore, "qu'il est acceptable de manger des animaux d'élevage, puisqu'ils sont élevés pour être mangés".
Énoncé de cette façon, le caractère fallacieux du raisonnement peut sembler facile à débusquer. Mais lorsque les propositions s'empilent, ou que le point de départ est implicite, il devient parfois très difficile de percevoir le caractère circulaire d'une affirmation.
Tout cela rappelle la tautologie, proposition présentée de façon à ce que sa formulation ne puisse être que vraie. Elle est parfois volontaire, est destinée à appuyer un propos ; par exemple lorsqu'on dit "je l'ai vu de mes propres yeux !"
Mais elle peut aussi être involontaire, par exemple avec l'usage de l'expression "au jour d'aujourd'hui" : dans aujourd'hui, "hui" signifie "ce jour". Aujourd'hui signifie donc déjà "au jour de ce jour". Donc "au jour d'aujourd'hui" signifie carrément "au jour du jour de ce jour" ; comme ça on est bien sûr de ne pas se tromper de date !
►N°2 - La généralisation hâtive
On l'appelle aussi "généralisation abusive". Ce raisonnement consiste à partir d’un tout petit échantillon - voire d’un cas unique - pour en faire une généralité.
Un exemple typique : "je connais une végane en mauvaise santé. Donc le véganisme n'est pas viable". Il est bien plus rare de s'entendre dire "je connais une personne qui mange des animaux et qui est en mauvaise santé ; donc manger des animaux n'est pas viable", n'est-ce pas ?
C'est un travers qu'on retrouve de façon récurrente dans la presse, ou l'on part de quelques individus pour finalement mettre tout le monde dans le même panier, quel que soit le sujet. Par exemple : "les véganes sont ainsi", "les antispécistes sont comme ça".
►N°3 - Le biais de confirmation
Il faudrait plutôt dire "les biais de confirmation", car il existe de nombreux biais cognitifs entrant dans cette catégorie. Ils consistent à privilégier les informations qui correspondent déjà à nos propres hypothèses ou idées préconçues ; et en miroir, à rejeter les informations qui ne vont pas "dans notre sens".
C'est ce qui se passe quand une personne non végane parcourt le web en recherchant des informations concernant la nutrition végétale, et ne va s'attarder que sur les quelques positions énonçant que le végétalisme n'est pas viable, en laissant de côté les études et méta-analyses affirmant qu'il est viable à tous les âges de la vie.
Ce biais peut donc mener à s'enfermer dans une bulle confortable confirmant tout ce qu'on pense déjà, et à échapper à la contradiction. Prudence !
►N°4 - Le sophisme par association
On vous a sans doute déjà dit qu'Hitler était végétarien. La plupart des personnes végétariennes, végétaliennes ou véganes ont entendu cet argument au moins une fois dans leur vie. Le but est d'insinuer que, puisqu'un monstre tel qu'Adolf Hitler avait pu être végétarien, alors le végétarisme est mauvais, ou pas souhaitable, ou pas meilleur qu'une autre pratique.
Avec ce raisonnement bancal, on pourrait aussi conclure que serrer la main pour dire bonjour, se coiffer, écrire des livres ou se laver sont de mauvaises pratiques, puisque Hitler faisait lui-même toutes ces choses.
Et que penser de Mugabe, Mussolini, Pétain, Pinochet, Pol Pot, fameux dictateurs zoophages ? Leur consommation de chair et d'autres produits d'origine animale ne fait aucun doute. Est-ce à dire que les personnes qui mangent de la chair sont aussi atroces qu'eux ?
Vous l'avez compris, ce genre d'argument mérite d'aller directement à la poubelle.
►N°5- Le renversement de la charge de la preuve
On vous a peut-être déjà dit "les mammifères marins ne souffrent pas de la captivité. Ou alors, prouve-moi le contraire !"
Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. C'est à la personne qui procède à une affirmation d'appuyer son propos par des éléments tangibles, et non à son interlocuteur ou interlocutrice de prouver le contraire. Sinon, on peut affirmer tout et n'importe quoi. Par exemple, que si vous ne pouvez pas prouver que les licornes n'existent pas... Alors c'est forcément qu'elles existent. On perçoit mieux, avec cet exemple, l'absurdité de l'argument.
►N°6- L'appel à la majorité
Ce raisonnement consiste à penser ou prétendre qu’une chose est bonne ou juste, parce qu’elle est pratiquée ou validée par un grand nombre de personnes. C'est un argument qu'on oppose parfois aux personnes véganes, puisqu'elles sont souvent peu nombreuses par rapport à la population totale d'un territoire donné.
C'est aussi un argument publicitaire très récurrent : une majorité de dentistes conseillerait cette marque de dentifrice ; c'est donc, forcément, qu'elle est la meilleure !
En fait, ça pourrait être parce que cette même marque a un énorme budget marketing lui permettant de se rapprocher des professionnel·le·s de santé et de leur proposer plein de cadeaux et d'avantages. Ca pourrait être aussi parce que les professionnel·le·s en question conseillerait cette marque, certes... mais aussi n'importe quelle autre, à leur patients et patientes ! Ca pourrait être encore autre chose. Mais ça, la pub ne le dit pas. Il suffit que la majorité soit invoquée pour que le message soit perçu positivement.
Nous sommes des animaux sociaux. On aime bien se conformer au groupe ; car entrer en contradiction avec ses membres risque de s'en faire exclure ou d'induire divers préjudices.
Mais la majorité peut avoir tort. Repensez par exemple à cet homme qui a demandé l'avis du public dans l'émission Qui veut gagner des Millions, et qui a finalement répondu que le soleil gravitait autour de la Terre parce que 56% des réponses du public lui avait suggéré cette réponse erronée.
►N°7- Le faux dilemme
" Êtes-vous du côté des petits élevages responsables ou des fermes-usines industrielles ?" Comme vous pouvez peut-être l'entendre, cette affirmation limite abusivement un choix à deux options, alors qu'il en existe au moins une troisième... Par exemple, se passer de l'élevage qui est, en soi, toujours une forme d'exploitation nuisant aux autres animaux.
On appelle aussi cet argument "exclusion du tiers" ou "fausse dichotomie", et on le croise très régulièrement dans les débats politiques. Le repérer permet d'éviter d'avoir à accepter un choix limité et simpliste.
►N°8- La pente savonneuse
On l'appelle aussi "pente fatale", "pente glissante" ou "effet boule de neige". Elle se définit comme une exagération des conséquences d'une thèse, en imaginant une chaîne d'effets aboutissant à une issue catastrophique.
Prenons pour exemple la tribune de Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher, publiée en 2018 dans Libération, qui énonçait (je cite des extraits, accrochez-vous) :
"Le véganisme est dangereux. Il participe à la rupture programmée de nos liens avec les animaux domestiques. Il menace de nous condamner à la disette en nous ramenant à l’agriculture prédatrice des temps anciens. [...] Il menace paradoxalement de nous faire perdre notre humanité incarnée et notre animalité en nous coupant des réalités naturelles par des zoos virtuels, des paysages transformés en sanctuaires, avec des chiens et chats remplacés par des robots. Le véganisme est l’allié objectif d’une menace plus grande encore. Car, après tout, la meilleure façon de ne plus abîmer la nature est de s’en couper totalement. De s’enfermer dans des villes, alimentées par des flux de molécules et des flux de données. [...] Un monde terrifiant." Fin de citation.
Je ne vais pas démontrer ici en quoi cet argumentaire est inepte et fallacieux ; je l'ai déjà fait dans un article en réponse à cette tribune, et ça serait trop long ; mais c'est en tout cas un très bon exemple de pente savonneuse : le déroulé de l'argumentaire propose un scénario digne d'un film d'anticipation dystopique épouvantable, qui ne repose sur aucune donnée sérieuse.
►N°9 - La solution parfaite
Ce raisonnement est basé sur l'idée que si une proposition n'apporte pas de solution parfaite à un problème donnée, alors cette proposition doit être rejetée, et ne doit pas être discutée.
On entend souvent ce raisonnement de la part de certains éleveurs ou militants anti-véganes qui affirment que si le mouvement animaliste ne propose pas les solutions idéales à tous les problèmes éthiques, sociaux, politiques et environnementaux induits par l'exploitation des autres animaux, alors il faut rejeter totalement le véganisme ou les avancées permettant de moins nuire à ces derniers.
Ce propos est malheureusement tenu, aussi, par des personnes défendant habituellement les intérêts des autres animaux, lorsqu'elles prétendent par exemple qu'il est inutile de combattre l'expérimentation animale et de dénoncer son caractère non éthique tant qu'on n'a pas trouvé toutes les solutions alternatives (et donc, la solution parfaite).
C'est un biais courant, qui pousse à l'inaction ou au rejet de solutions qui permettraient pourtant de soulager de nombreuses souffrances.
►N°10- L'argument ad hominem
C'est un argument qui consiste à opposer à son interlocuteur ou interlocutrice certains de ses actes ou certaines de ses paroles pour éviter de répondre sur le fond. Par exemple en affirmant : "est-il bien raisonnable de discuter avec toi du bien-fondé de l'antispécisme, alors que tu faisais de l'équitation il y a 10 ans ?!"
À ne pas confondre avec l'ad personam, qui est une attaque de l'autre en tant que personne, sans rapport avec l'objet du débat.
Dans L'Art d'avoir toujours raison - La dialectique éristique, Schopenhauer écrivait :
« Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est. [...] Quand on passe aux attaques personnelles, on délaisse complètement l’objet et on dirige ses attaques sur la personne de l’adversaire. On devient donc vexant, méchant, blessant, grossier. [...] Cette règle est très appréciée car chacun est capable de l’appliquer, et elle est donc souvent utilisée. »
Vous l'aurez compris, c'est l'argument le plus minable et le plus déloyal qui soit. Vous savez désormais à quoi vous en tenir quand vous le verrez dans un débat.
3 - Attention ! Restons bienveillant·e·s...
Voilà pour les 10 raisonnements et arguments dont je voulais vous parler aujourd'hui ! Petite note utile pour finir : débusquer les arguments fallacieux, apprendre les biais cognitifs ; dénicher les sophismes et traquer les paralogismes... C'est un chouette exercice, qui peut être aussi plaisant et stimulant qu'un jeu. Mais la chose se transforme parfois - on le voit beaucoup sur les réseaux sociaux - en véritable bataille rhétorique.
On peut en effet être tenté·e de souligner systématiquement et point par point toutes les faiblesses argumentaires de nos interlocuteurs et interlocutrices, en énumérant les erreurs commises et les corrigeant ; en dressant une liste des sophismes dans lesquels elles ou ils sont honteusement tombé·e·s. Mais c'est rarement une bonne idée, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, ça créé beaucoup de réactance psychologique chez l'autre, parce que ça ressemble aussi beaucoup à de la condescendance ou du mépris, en plaçant les participants et participantes du débat dans des rôles de prof et d'élève, ce qui est peu agréable pour la personne placée malgré elle en position d'élève.
Il faut aussi garder à l'esprit qu'un argumentaire peut être mal exprimé, maladroit, ou contenir des paralogismes, tout en proposant une conclusion qui est juste.
Alors, méfiance. Il est à mon sens utile et nécessaire d'apporter à un discours trompeur, mensonger ou fallacieux une contradiction étayée. Mais il est aussi souhaitable, autant que possible, d'éviter les attitudes d'énumération de sophismes qui créent tant de rejet. Tentons de rester dans une démarche bienveillante !
4 - La pépite
Comme dans chaque chronique, nous arrivons maintenant à la "pépite" ! Ce mois-ci, j'aimerais vous parler d'un blog qui traite de sujets que j'apprécie beaucoup moi-même : animalisme, philosophie, politique, spécisme et esprit critique, entre autres. L'avantage, c'est que son auteur en parle avec beaucoup d'humour. Il propose d'excellentes réponses à certains militants anti-véganes, tels que Paul Ariès, de minutieux débunkages, de précieux articles de fond, d'instructives chroniques littéraires, et plein d'autres choses.
Le nom de ce blog, c'est How I met your tofu. Je vous recommande vivement de vous y balader, donc ! Son auteur, Nicolas Bureau, produit également des chroniques dans Virage, le magazine de l'Association Végétarienne de France, et donne des conférences, dont la dernière s'est tenue lors de la 18ème édition des Estivales de la Question Animale. Vous pourrez aussi retrouver sa verve et sa rigueur sur Facebook et Twitter.
5 - Conclusion + citation de fin
Voilà, c'est la fin de cette cinquième chronique ! Merci à tous et à toutes d'avoir pris le temps de m'écouter. Je terminerai avec cette citation de la philosophe, journaliste et politologue Annah Arendt : "La pensée est une activité dangereuse mais ne pas penser est plus dangereux encore". Rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle chronique. Et d'ici là, prenez soin de vous et des autres !
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Sources & informations complémentaires
- Tribune "Pourquoi les vegans ont tout faux" (P. Ariès, F. Denhez et J. Porcher) : https://www.liberation.fr/debats/2018/03/18/pourquoi-les-vegans-ont-tout-faux_1637109
- Ma réponse à cette tribune : https://blogs.mediapart.fr/florence-dellerie/blog/190318/veganisme-pourquoi-paul-aries-frederic-denhez-et-jocelyne-porcher-ont-tout-faux
- La pépite, le blog How I met your tofu : http://howimetyourtofu.com/
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