Intersexuation : la binarité des député·e·s

Rédigé le 01/08/2020
Néo ...


Le 31 juillet 2020 ce sont 60 député·e·s sur 577 que compte l'hémicycle qui auront finalisé l'adoption de la loi bioéthique à grand renfort de dogmatisme.

Après avoir fait l'impasse sur la PMA pour tout·e·s en discriminant les hommes trans (https://www.liberation.fr/france/2020/07/30/la-pma-pour-toutes-pas-encore-pour-toutes_1795697), les amendements qui auraient permis de protéger les personnes intersexes des mutilations et des tortures qu'elles subissent ont été rejetés. C'est une majorité de député·e·s absent·e·s qui aura rendu possible ce dernier vote.




 

La France, par ce rejet, montre sa volonté d'invisibiliser la réalité des personnes intersexes et se rend coupable de la maltraitance qui leur est infligée du point de vue même du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme :

 

« Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. Être intersexe est bien plus répandu qu’on ne le pense. Selon les expert.e.s, il y a autant de personnes intersexes que de personnes rousses.

Parce que leur corps est considéré comme différent, les enfants et adultes intersexes sont souvent stigmatisé.e.s et subissent de multiples violations de leurs droits humains, tels que le droit à la santé, à l’intégrité physique, à l’égalité et à la non-discrimination et le droit à ne pas être soumis.e à la torture ou à de mauvais traitements. »

 

Le rejet de ces amendements va donc faire perdurer l'abérration morale et scientifique de la conformation sexuée, faisant des personnes intersexes des victimes qui continueront de subir des opérations. On comprend d'autant plus l'inutilité de ses interventions chirurgicales lorsqu'on s'intéresse aux spécificités de l'intersexuation.

 


 

L’intersexuation est le fait de naître avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle ». Les variations sont nombreuses et différentes, il n’y a pas une manière d’être intersexe. Les variations peuvent se trouver au niveau des chromosomes, de l’anatomie, des gonades (chez les humains = testicules/ovaires/combinaison des deux) ou de la production d’hormones. Selon certaines estimations, il y aurait 1,7% de la population qui serait intersexe (autant que de personnes rousses).

Nous vous invitons à écouter le podcast de Camille, Médecine, la fabrique des corps, qui en 40 minutes explore parfaitement ce sujet.
L'acte de conformation sexuée est une intervention médicale, généralement pratiquée sur les enfants, pour faire davantage correspondre à la catégorie typique de « mâle » ou « femelle ».
 

Pourquoi vouloir interdire ces chirurgies ?

Deux raisons principales :

1. Elles sont pratiquées sans le consentement de l’enfant.

Le droit à l’intégrité, à disposer de son corps, droit de consentir, s'appliquent à tou·te·s et font l'objet d'une dérogation seulement en cas d’urgence vitale. Lorsque le corps médical décide une opération, il ne respecte pas ces droits puisque la condition de dérogation n'est pas remplie.
 

2. Leurs implications sur la construction de soi.

Les personnes qui ont subi ces chirurgies (dès 9 mois pour beaucoup de personnes intersexes) ressentent une détresse psychologique qui peut conduire à des comportements suicidaires et d’automutilation. Les taux de prévalence de ces comportements sont deux fois plus élevés chez les personnes intersexes que la moyenne, taux comparables à ceux des femmes traumatisées ayant subi des abus physiques ou sexuels. Au contraire, certaines personnes intersexes qui ont réussi à échapper à l’intervention médicale n’ont pas eu d’effets négatifs. C’est ce que rappelle le Conseil de l’Europe [1] qui rapporte la parole de Hilda Violoria qui explique avoir « eu beaucoup de chance d’échapper à la chirurgie ‘correctrice’ et/ou aux traitements hormonaux […], grâce à son père qui, ayant suivi des études de médecine avant l’apparition de ces pratiques (entre le milieu et la fin des années 1950), savait qu’il ne faut pas opérer un bébé sauf nécessité absolue».

 
Or, tandis que la France élabore sa loi bioéthique, les reflexions et les études sur le sujet ont permi un positionnement clair d'instance telles que le Conseil de l’Europe, l’ONU et le Conseil d’Etat qui ont jugé ces actes chirurgicaux illicites et/ou criminels. Le Conseil de l’Europe qualifie les interventions médicales de « violations des droits de l’homme subies par les personnes intersexes » [2] L’ONU rappelle qu’en plus « de leur causer des souffrances physiques, psychologiques et émotives, ces procédures enfreignent leurs droits. » [3] Le Conseil d’Etat finit en affirmant qu’il s’agit « [d’]actes médicaux lourds », « portant gravement atteinte à [l’]intégrité corporelle [de l’enfant] ».[4]
 
Quand la France rejete ses amendements de protection des personnes intersexes, elle se positionne de manière criminelle.

Les député·e·s donnent donc tous les pouvoirs au corps médical pour décider la conformation sexuée des personnes intersexes sans aucune nécessité médicale et en dépit de toute justice. Cette loi bioéthique vise à imposer un ordre et réaffirmer la norme binaire des sexes. Un minimum de connaissance du sujet* aurait du alerter les député·e·s dans leur mission politique et sociétale.  Il y avait un espoir que cesse cette violence d'État avec la loi bioéthique, ce 31 juillet déclare la polongation de la lutte et ce que les personnes intersexes subissent est si révoltant, qu'il est urgent de se déclarer allié·e·s.

 

Néo et .


 

[1] Droits de l’homme et personnes intersexes par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, p.22.
[2] ibid, p.53.

[4] https://cia-oiifrance.org/2018/07/16/communique-rapport-bioethique-du-conseil-detat-des-positionnements-forts-en-faveur-des-droits-intersexes/

(*) Collectif Intersexes et Allié·e·s

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Pour aller plus loin dans la reflexion


Cette somme d'information : https://sexandlaw.hypotheses.org/955